Federico Fellini

 

Les Feux du music-hall
(1950)

 

Courrier du cœur / Le Sheik blanc
(1952)
***

Le deuxième Fellini, premier en solo, est déjà remarquable. Après la mise en place, l'arrivée du couple de jeunes mariés à Rome pour leur voyage de noces, on dépasse aussitôt l'aimable chronique néo-réaliste et on part ailleurs, sur les chemins de traverse. Scindé en deux temps, le film commence par faire l'éloge de la fiction et de la vie rêvée (à travers les romans photos exotiques) avant de montrer une désillusion (la jeune admiratrice à failli perdre son honneur, son mari et sa vie en fricotant avec la vedette, cette sauvegarde de la morale faisant la petite limite du film). Mais même après avoir goûté aux plaisirs de la (fabrique de la) fiction (étourdissante séquence des prises de vue sur la plage), le spectateur, lui, continue à en profiter. Grâce à la partition géniale de Nino Rota (avec multiples variations et surprises de placement), à la prestation d'Alberto Sordi (d'abord presque inquiétant sous le maquillage du "Sheik blanc" puis pathétique), à l'apparition de Giulieta Masina (prénommée Cabiria !), à la manière unique de raconter, Fellini changeant constamment de rythme et donnant à voir de belles ramifications en tournant brièvement sa caméra, de temps à autre, vers les à-côtés, les silhouettes de passage. La scène de la fontaine par exemple nous marque parce que l'on se tourne, pendant quelques secondes à peine, vers un passant que Masina connaît et qu'elle va voir cracher du feu, s’éloignant alors de sa copine et du mari en pleurs. Ce sont ces détails, cette façon d'attraper le monde autour, qui donnent un surcroît de vie et d'énergie.
(20/01/2019, Nightswimming)
 
 

Les Vitelloni 
(1953)
****
 
La Strada
(1954)
****


Il Bidone
(1955)
***
 

Sombre Fellini, bien gris en tout cas, dans lequel le comique reste toujours attaché à une certaine gêne. Si la vigueur de la forme et les lueurs d'espoir (dans les regards amoureux ou dans les rares personnages innocents) empêchent l'ensemble de sombrer totalement, il apparaît évident qu'en 1955, le monde allait (toujours, ou déjà) bien mal. Fellini montre une série d'humiliations verticales, son petit groupe d'arnaqueurs abusant des plus pauvres mais se voyant aussi rabaissé par les plus puissants. Comme il était encore dans sa première période réaliste, sans proposer d'échappée dans l'imaginaire, et qu'il ne sauve pas du tout, au final, son personnage principal, son film garde un ton désespéré qui l'a rendu assez mal-aimé. Même à la deuxième vision, il est pourtant à la hauteur des autres, par moments extraordinaire (la fête du nouvel an chez les bourgeois dévergondés), et construit très solidement (l'ultime arnaque qui rappelle la première et boucle la boucle tragique).
(15/05/2019, Nightswimming)
 
 
 
Les Nuits de Cabiria
(1957)
**
 
La Dolce Vita
(1959)
****
 
Huit et demi
(1963)
****
 
Juliette des Esprits
(1967)
 
Bloc-notes d'un cinéaste
(1969)
 
 

Fellini-Satyricon
(1969)
***

Sans doute le plus fou des Fellini (ce n'est pas peu dire), et pari réussi qui ouvre ses très libres années 70 plutôt qu'il récapitule les précédentes. Son adaptation de Pétrone pose la question de la représentation d'une Antiquité qui nous resterait inconnue : elle s'ouvre de manière théâtrale en monologue du héros, se clôt sur des fresques altérées par le temps, multiplie les lieux et les architectures où des spectacles, publics ou intimes, se déroulent, utilise un procédé mystérieux et déstabilisant de regards caméra fixes de la part de certains figurants sur les bords. Le monde dépeint est pré-chrétien et "innocemment" amoral, le désir (et la violence) y circulant entre tous les sexes, tous les âges, toutes les races, tous les statuts sociaux, sans distinction (une des belles conséquences est l'équilibre érotique hommes/femmes, jusque dans des dévoilements égalitaires). Comme il le fera dorénavant, Fellini recrée tout un univers, avec une inventivité sidérante, du détaillé au monumental, et cela à chaque instant (le moindre plan du film peut donner lieu à une magnifique capture), quitte à ce qu'une superbe composition n'apparaisse que deux secondes. La mosaïque (les langues utilisées sont innombrables et souvent inconnues) mêle constamment le beau et le laid, sans jugement : le visage le plus avenant peut être tout à coup rayé d'une grimace, ou décapité. Mais ce qui en fait l'un des grands films sur l'Antiquité, c'est l'audace de sa narration, succession de heurts, de trous, de détours, d'enchâssements, Fellini s'affranchissant de toutes les règles conventionnelles, inopérantes selon lui pour rendre compte de l'époque lointaine, et offrant, via son imaginaire, une représentation possible.
(23/02/2025)
 
 

Les Clowns
(1971)
***

Du grand art pour un petit sujet et ne souffrant jamais de son origine télévisuelle. Hommage multiforme au monde des clowns : vrai/faux documentaire, souvenirs d'enfance recréés... Un grand mélange qui tient par le décalage constant, l'organisation d'un chaos, et qui culmine avec ces vingt minutes hallucinantes de fureur, l'enterrement symbolique du clown par ses camarades. A nouveau porté par la musique de Nino Rota, le spectacle change le regard habituel. Tout le film est assez morbide, presque jamais drôle, convoquant des professionnels fatigués.
(07/02/2006)

 

Fellini Roma
(1972)
****

Rome dans la tête de Fellini

En 1972, Federico Fellini a déjà deux décennies de travail derrière lui et en a deux autres devant lui. Roma tient donc une place centrale dans sa carrière. Ce film sur "sa" ville constitue le point extrême de ses expériences sur le plan narratif, suivant immédiatement le vrai-faux documentaire Les Clowns (1970) et précédant les deux classiques des années 1970 que sont Amarcord (1973) et Casanova (1976). L’un est plus émouvant et l’autre plus admirable que Roma. Il n’empêche que l’on garde là un film incontournable et d’abord, irracontable. Pas d’histoire à proprement parler ici, juste un sujet : la cité-mère, traversée par ses habitants au fil des ans. Rome est vue par l’œil d’un réalisateur qui apparaît lui-même à l’écran à quelques reprises dirigeant une équipe de tournage. Mais Roma n’est pas un film en train de se faire. La mise en abyme n’est clairement installée qu’à certains moments. Ailleurs, sont plutôt visualisés des souvenirs ou des rêves. Et si une poignée de séquences sont plus réalistes, nous ne sommes pas non plus devant un documentaire sur la ville. Il s’agit en fait d’une re-création totale par l’esprit d’un artiste en pleine inspiration. La grande majorité des scènes se déroulent dans les décors de Cinecittà, où Rome a été dupliquée.
Rêve et réalité se télescopent, passé et présent alternent. Certes, le film débute en évoquant diverses façon d’entrer dans Rome (à pied, en voyageant en train ou en empruntant un infernal périphérique automobile), se termine en quittant l’endroit à moto et laisse quelques personnages tenir un rôle d’accompagnateur intermittent (un journaliste en Fellini jeune, le cinéaste lui-même) mais le fil conducteur n’est jamais véritablement tissé autrement que dans le cheminement de la pensée de l’auteur. Ce sont des impressions felliniennes qui se succèdent à l’écran, en des séquences uniquement liées entre elles par un fondu au noir. Au spectateur de déceler, ou pas, entre elles, des articulations secrètes. D’apprécier par exemple l’étrangeté ou la facétie dans le fait que le célèbre défilé de mode ecclésiastique soit aussitôt collé aux longues séquences consacrées au bordels et au "cirque" des prostituées et de leurs clients.
Le mot "bordel" reste d’ailleurs constamment à l’esprit, avec son double sens français. Fellini rend compte du bordel romain avec ces bruits, ces invectives, cette agitation en tous sens. Dans des scènes de repas en pleine rue, d’appartement, de cabaret ou de maison close, en autant d’endroits surpeuplés, tout déborde, comme les énormes seins des nuisettes des femmes dévoreuses. Fellini charge son cadre (avec précision toutefois), bouge sa caméra et ne s’attarde pas. Souvent, il ne retient qu’une phrase, un visage étonnant, un corps marquant, puis il passe à autre chose, juste à côté, frustrant le spectateur en quête de sens et de récit classique. Surtout, il réalise une œuvre agressive sur le plan sonore. Du sidérant embouteillage sur l’autoroute menant à Rome à la ronde nocturne des motards, en passant par un spectacle populaire constamment interrompu par un public indomptable, la bande son se sature. Cependant, Fellini a l’intelligence de couper ce flux à intervalles réguliers, d’enchaîner avec des scènes désertées par l’homme et lavées de sa pollution, sonore et autres.
Roma a l’allure d’un ouvrage pessimiste et inquiet, dans lequel l’Antiquité observe imperturbablement la modernité. Celle des hippies notamment, qui ne rencontrent pas le monde de Fellini : il est malicieusement dit dans le film que ce cinéaste reconnu partout ne s’intéresse pas aux vrais problèmes de la jeunesse et du monde, ayant déjà du mal à régler les siens. Une charge de flics est bien filmée, mais la caméra s’attarde plus volontiers sur ce qu’en dit un bourgeois réactionnaire en terrasse, comme au spectacle. Que l’on ne s’y trompe pas : pour Fellini, la bourgeoisie et les dominants vont finir par crever aussi. L’ordre règne, certes, au Palais d’une vieille comtesse qui a réuni tous les pontes de la classe ecclésiastique mais tous ces gens qui pensent être bien ancrés dans leur époque avec leurs tenues brillantes et modernes ont en fait les traits livides. Quasi immobiles, ils sont déjà morts. Mais tout cela, c’est à nous de le ressentir, Fellini refusant d’expliquer les choses. Il partage des visions, pas forcément belles en elles-mêmes, et les assemblent poétiquement. Il prend les clichés romains sur la nourriture, la figure de la Mère, la vantardise ou la saleté et les poussent aux extrémités. Ce dynamitage produit mille morceaux réassemblés en un objet à autant de facettes, pour un film unique, même pour son auteur.
(11/03/2018, Fiches du Cinéma)
 
 

Amarcord
(1973)
**

Décidément pas un fanatique de Amarcord, le trouvant à nouveau inégal, avec autant de moments magiques en suspension que de passages plus pénibles, la plupart de ces derniers concernant les souvenirs d'école graveleux et les recentrages sur la famille, peu attachante. Mes préférences vont ici aux scènes de groupe, de foule, de célébration, avec une caméra qui pourrait se mettre à suivre n'importe qui juste pour son apparence, sa "trogne". On est constamment dans l'entre-deux, entre souvenirs et fantasmes, entre narration "objective" et commentaire, entre enfance et âge adulte, entre décor factice et décor réel. Et surtout, on est entre deux films, eux, immenses, le film-monde Roma et le film "mortel" Casanova. "Amarcord, c'est trop et trop peu" écrivait Lorenzo Codelli en conclusion de sa critique de trois pages dans lesquelles il étalait sa déception, à une époque (1974) où Positif ne cherchait pas à chouchouter systématiquement les grands noms.
(11/05/2023)

 

Casanova
(1976)
****

Casanova (Il Casanova di Fellini) ou un film comme un rêve. Ce chef d’œuvre du Maestro Federico est une adaptation ("libre" croit devoir nous prévenir le générique) des mémoires de Giacomo Casanova (1725-1798). On ne parlera pas ici de biographie, le film n'obéissant à aucune règle narrative classique, ni dramatique, ni psychologique. Non pas que la construction soit embrouillée (elle est au contraire rigoureuse et limpide), mais le récit ne semble obéir qu'à une seule logique : celle de l'esprit de Casanova et donc, de Fellini. Une structure en flashbacks, organisée à partir de l'épisode de l'emprisonnement du héros, soutient d'abord l'édifice, mais elle est vite abandonnée ; la voix du héros-narrateur qui nous accompagne de temps à autre ne nous provient finalement de nulle part. Nous voyons bien, après les années de pleine santé, le corps se fatiguer, les rides se creuser, jusqu'à dessiner ce portrait de vieillard aigri. La progression est donc en apparence chronologique mais les sauts d'un souvenir à l'autre ("Je voudrais vous parler maintenant de ma rencontre avec...") nous placent toujours volontairement hors du temps.
Casanova vit pourtant bel et bien dans ce XVIIIe siècle, celui des Lumières, celui des salons et des dîners, celui des voyages des élites de cour en cour, à travers l'Europe, à la recherche des faveurs de monarques plus ou moins éclairés. Ce monde est ré-inventé par Fellini (quels décors, quels costumes !!!). L'époque revit. Mais si l'archéologue a exhumé l'environnement, il n'a pas ressuscité les hommes : nous ne croisons que des spectres. Dès sa première apparition, au milieu de la nuit et de la brume, au bord d'une mer de plastique des plus inquiétantes, Casanova glisse déjà au milieu du royaume des morts. Plus tard, lorsqu'il approchera la petite couturière Anna-Maria, au visage fantomatique, ce sera dans un jardin aux allures de cimetière. L'une des femmes qu'il courtisera en Suisse le plaindra ainsi : "Vous ne pouvez parler d'amour sans être funèbre". Il n'y a pas ici une seule séquence qui ne se leste d'une certaine morbidité.
Le mythe de Casanova est celui de l'homme aux trois-cents femmes. Fellini le ridiculise. Non en le niant, mais en le poussant vers le mécanique et le vide. En filmant les ébats de son héros, il ne détourne pas les yeux devant le sexe et le graveleux mais il ne fait rien non plus pour atténuer l'impression perpétuelle de simulacre. Lorsque Casanova chevauche une partenaire, la caméra prend régulièrement la place de la femme ou inversement et ces champs-contrechamps d'accouplement semblent repousser les partenaires à distance. Les rares moments de réelle intimité, de fusion sincère, sont laissés hors-champ ou tout simplement refusés au séducteur (les femmes qui le touchent vraiment restent inaccessibles). Casanova s'épuise dans sa recherche de la Femme : il veut la plus belle ou la plus forte ou la plus vieille ou la plus parfaite. Tout le ramène à son désir, comme lorsqu'il entre dans la baleine (séquence admirable où l'on peut voir, sous forme de lanterne magique, une série de dessins érotiques de Topor). Et ce désir est vu comme une maladie. Il se dessèche au fur et à mesure qu'il monte vers le Nord de l'Europe, en passant par des villes (Venise, Paris, Londres, Dresde...) qui, par la magie de Cinecitta, sont dans le même espace trouble. Arrivé au terme de sa vie, Casanova aura eu beau se courber devant les puissants, offrir ses services en tant que savant ou bibliothécaire, revendiquer le statut d'écrivain et de grand témoin de son temps, il restera, aux yeux des nouveaux courtisans imperméables à l'Art (ceux qui transforment un opéra en cacophonie orgiaque et vulgaire), l'aventurier, le symbole flétri d'un monde qui se meurt.
Le Casanova de Fellini est un film monstrueux et désespéré, mais fascinant et revigorant. Il y a le regard de Donald Sutherland, prodigieux. L'acteur se laisse faire, impassible. Fellini a modelé son image et l'a dirigé comme une marionnette (les plans où il prend des postures de pantin sont innombrables). Le cinéaste a souvent déclaré que le personnage lui donnait la nausée, mais le glissement qui s'opère vers le pathétique et vers la mort ne peut qu'émouvoir. Il y a aussi de la chair. Devant les situations scabreuses et les inventions de casting felliniennes, on se dit que l'outrance peut passer décidément à merveille lorsqu'il s'agit de recréer un passé fantasmé. Il y a enfin du foisonnement. Comme il agence parfaitement son récit, Fellini organise son chaos en allant chercher le hors-champ, en détournant abruptement une conversation ou un spectacle en cours. Puis, il isole, par les plus beaux artifices de mise en scène qui soient, ses personnages, concentre son regard et peut laisser aboutir l'épisode avant de passer à un autre. Son film avance par blocs. Par tableaux, dirait-on, pensant parfois au cinéma de Peter Greenaway, à ceci près que l'on ne sent pas de dispositif ni de théâtre. Chez l'Italien, les angles sont moins coupants, les bords du cadre sont moins rigides que chez le Britannique (l'un de ses descendants possibles ; à l'autre bout du spectre, nous aurions Kusturica).
La marche funèbre de Casanova par Fellini (au son d'une géniale partition de Nino Rota) est une promenade somptueuse avec l'amour et la mort dont chaque instant devrait être raconté, de la tête géante du début, (presque) hissée hors de l'eau en plein carnaval, au ballet mécanique rêvé d'un finale mélancolique. Voici le plus beau : en un plan, la salle de théâtre se vide, laissant Casanova seul, de profil. De gigantesques candélabres descendent lentement du plafond. Et on vient les éteindre à l'aide de grands éventails.
Depuis plusieurs années je voulais revoir ce Fellini-là, histoire d'être sûr de ne pas avoir rêvé la première fois. Finalement, j'ai rêvé une deuxième...
(28/11/2008, Nightswimming)
 
 
Répétition d'orchestre
1979
**
 
Fellini reprend le principe des Clowns, le faux reportage télévisé, mais plus linéaire, retraçant une répétition et interviewant les protagonistes. Déroulement simple : installation des musiciens, arrivée du chef d’orchestre, révolte, apocalypse et régénération finale (ou reprise en main par le chef ?). C'est son film le plus directement politique. Par ses métaphores, il pousse le spectateur à mettre du sens derrière cette boule de chantier, ce chef allemand, ce syndicaliste corrompu. Mais cela reste un peu confus. de plus, la première partie doit surtout passionner les mordus de classique, avec les différents discours des musiciens sur leur rapport à la musique. Restent l'humour, la galerie de personnages, les séquences musicales, le chaos. Une miniature de Fellini.
(16/09/2006)
 
 
La Cité des femmes
(1980)
**
 
Et vogue le navire...
(1983)
****
 
Ginger et Fred
(1986)
**
 
Intervista
(1987)
**
 
La Vocce della luna
(1990)
**

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire